Je commence à avoir faim... Terriblement faim... Mais il fait froid, je suis dans une forêt... En plein hiver... Il n'y a rien que je pourrais manger... Cela fait des heures... Peut-être des jours... Ou même des semaines, des années que je marche dans cette forêt sans fin... Mon cerveau déambule au gré des vagues de mon esprit... Je ne ressens rien... Le calme... Et la forêt toute entière... Chaque branche qui remue... Chaque feuille qui tombe... La terre moelleuse sous mes pas sans fin... Le vent léger qui s'insinue entre les arbres... Mais j'ai faim... Depuis longtemps déjà... Pourtant, je continue d'avancer... Avec l'espoir flou d'arriver à en voir la fin un jour...

Je pense que je ne voudrais pas... Que je n'aimerais pas... Etre ailleurs qu'ici...

Bizarrement...

Alors que je ne sais pas... Que je ne comprends pas... ce que je fais là...

Je me sens bien... Je suis libérée... de ma mémoire...

Cela devrait sûrement être triste de ne se rappeler de rien... Mais justement, sans mémoire, on ne peut pas se souvenir d'en avoir jamais eu une...

Pourtant, je suis consciente d'avoir déjà été quelqu'un... D'avoir eu une vie... Mais je ne me souviens de rien d'autre...

Alors peut-être que c'est mieux comme cela... Mourir sans se souvenir d'avoir été... sans être conscient que l'on perd sa vie et que l'on sombre dans des méandres d'inconscience et d'inconnu...

Plus rien n'a d'importance pour moi désormais... Du moins jusqu'à ce que je retrouve des pans de ma mémoire je pense... Mais peut-être que je ne la retrouverai jamais...

Alors c'est mieux ainsi... Pourquoi cette sensation... De profonde indifférence? Pour tout... Mon monde... Mon passé... Moi...

Peut-être... Peut-être que cela n'a jamais eu d'importance pour moi... Mais à présent... Je m'en fiche... Sans but, sans remords ou décision...

Je continue d'avancer, sous la lumière de mon passé et au-dessus de l'ombre de mon désespoir...

Dans les limbes éternellement neutres... J'erre sans fin aux limites de ma conscience... Sans bruits...

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C'est en avançant que tu apprends à marcher. /paroles de sage, IIIème/

Encore. Seule au milieu des bois, encore.

Pourquoi cette impression de déjà-vu? Un flash-back me traverse l'esprit. Qu'est-ce que je fais là? Encore une hallucination... Cette ombre... Qui s'étend sur moi peu à peu dans mes rêves... Qu'elle me lâche. Qu'elle me laisse essayer... de me souvenir... Elle représente une entrave, un cadenas... gardien de mes souvenirs condamnés...

Lâche-moi!

Ma main brûlante glisse lentement de mes yeux épuisés. Pour tomber à côté de moi. J'ai froid. J'ai chaud... Mal à la tête... Aux yeux... Trop faible... pour bouger... La soif se fait sentir...

Où aller? Je ne sais même pas où je suis... Qui je suis... Quel âge...? Quel âge est-ce que je peux bien avoir? Des larmes roulent sur mes joues, sans que je fasse un geste pour les retenir... Une chouette hulule au-dessus de moi... Je ne bouge pas...

Je me lève. Depuis combien de temps étais-je assise? Une minute... Une heure... Une journée... Aucune idée... J'ai faim. Je me décide à marcher. J'avance au hasard, évitant avec lassitude les branches et les rochers. De temps en temps, je lève la tête vers le ciel, espérant je ne sais quoi... Il reste bleu glacé...

Quel est mon nom? Je tente de me rappeler, mais il ne me reste rien du passé... Rien au sujet de ma vie... Je sais compter, écrire, réfléchir... J'ai forcément eu une vie... Je ne suis pas tombée soudainement au milieu de ces grands arbres...

Et pourtant, ils me sont étrangement familiers... Je me sens calme parmi eux... Je reconnais leurs odeurs... Les aiguilles des sapins verts me caressent quand je passe en-dessous... La résine... les oiseaux... Le silence... Le calme... Et le froid... Tout ça, je le ressens... Mais je n'arrive pas à me raccrocher à un potentiel souvenir... Je suis apaisée... Mais il me manque quelque chose...

 Des réponses...

Et nulle part où aller...

Le retour aux sources n'est ni plus ni moins qu'une façon de s'oublier et de s'abandonner. /paroles de sage, IInd/

Le goût du sang dans ma bouche... L'odeur de la forêt qui me possède toute entière...

Et ce silence... Je sens la résistance froide de la roche sous mon dos...

J'ouvre lentement mes yeux secs et glacés.

Je suis seule... Au milieu des bois. Je ne les reconnais pas.

Comment suis-je arrivée ici? Peu m'importe... Je n'ai plus de but... Plus de vie...

Peut-être... Peut-être devrais-je me laisser sombre... Dériver doucement... Pour finalement mourir. Et quitter ce monde...

Le ciel est sombre... Il doit être tard... Ou tôt... L'humus des grands sapins me réveille. Je voudrais crier... Comme ça... Sans raison...

J'ai soif... Après un long instant de calme, je me décide à me lever enfin... Tous mes membres crient de douleur. Je suis ankylosée, et épuisée... Je marche au milieu des grands arbres, cherchant quelque chose... Je ne sais pas quoi...

Soudain... L'appel... L'appel de l'eau... Je l'entends... A ma gauche... Mes jambes tremblent, mais je continue... Sans penser... J'ai perdu mon humanité...

Je me laisse tomber à genoux devant la petite rivière... Je commence à boire l'eau glacée. Elle est tellement froide, qu'elle me brûle la gorge. Je continue, pourtant, assoiffée. Un oiseau passe au-dessus de ma tête. Son ombre noire se détache sur l'eau pure. 

Une autre ombre... Menaçante... D'un coup, une convulsion me rejette en arrière, la panique m'envahit... Je me frotte les yeux, essayant vainement de faire disparaître cette vision... Des voix... Derrière moi... Une tache rouge, plus rien...